La simulation d'écoulements complexes multimatériaux est devenue, en quelques années, un enjeu stratégique pour de nombreuses entreprises et entités de recherche. Elle est désormais un outil indispensable en amont de la phase de réalisation d'un projet (afin de limiter le nombre de prototype, diminuer le coût des essais, simuler des conditions de plus en plus drastiques, accélérer la mise sur le marché des produits en améliorant sans cesse la qualité…), que l'on retrouve dans divers domaines tels que les transports, la défense, l'aéronautique, la météorologie.
Il existe trois classes de schémas numériques aujourd'hui utilisés pour résoudre des problèmes industriels :
- en premier lieu, les schémas dits Lagrangiens autorisent le maillage à se déformer suivant la vitesse de la matière, ce qui a l'avantage majeur de conserver la masse dans chaque maille du maillage. Ces schémas démontrent une capacité naturelle à préserver les interfaces entre matériaux, mais présentent la faiblesse de ne pas pouvoir simuler efficacement les écoulements rotationnels, pour lesquels la forte déformation du maillage peut très vite conduire à un crash de la simulation.
- D'un autre côté, les schémas Eulériens s'appuient sur un maillage fixe dans le temps, permettant alors de s'affranchir de toute déformation parasite, mais nécessitant une procédure supplémentaire pour gérer les interfaces entre les matériaux.
- La troisième classe de schémas regroupe les schémas dits ALE, pour Arbitrary Lagrangian Eulerian, qui combinent les avantages des deux classes de schémas précédents. Il s'agit de simuler l'écoulement de façon Lagrangienne quand cela est possible, en Eulérien quand cela doit être fait, par exemple lorsqu'il y a une rotation du fluide que le maillage ne peut suivre, et en combinaison des deux formalismes dans un cas intermédiaire.
Les schémas ALE les plus répandus sont les schémas Lagrange + Projection, qui consistent à utiliser un schéma Lagrangien pour calculer la solution numérique, et à régulariser la solution dès que la déformation du maillage devient trop forte. Cette régularisation consiste simplement à interpoler (à « projeter ») la solution numérique du maillage déformé sur un maillage beaucoup plus régulier. On parle alors d'ALE indirect, car le schéma est défini en deux étapes : une étape lagrangienne, suivie d'une étape de projection.
Depuis quelques années, une nouvelle variété de schémas ALE est apparue. Ce sont les schémas dits directs, qui permettent de régulariser le maillage à chaque itération du calcul. De façon pragmatique, cela revient à contrôler la déformation du maillage en lui imposant une vitesse différente de la vitesse de l'écoulement. Ces schémas sont peu gourmands en temps de calcul et sont plus simples à mettre en œuvre que les schémas indirects, car le module d'interpolation de ces derniers peut se révéler très compliqué à développer informatiquement, notamment en 3D. Toutefois, la difficulté réside dans la définition du déplacement du maillage qui devait jusqu'à présent être réalisé par l'utilisateur en amont de la simulation. Cela présente un intérêt limité, car on souhaite plutôt que la régularisation du maillage dépende du comportement de l'écoulement à chaque instant.
La Direction d'Ile de France (DIF) du Commissariat à l'Energie Atomique collabore depuis plusieurs années avec Eurobios pour développer une classe de schémas ALE directs qui pourraient s'intégrer rapidement dans leurs codes de production. Il s'agissait d'une part de développer un schéma multidimensionnel qui gère plusieurs types de matériaux, et d'autre part un module qui permet un contrôle du maillage en fonction de l'écoulement.
Dans un premier temps, une version opérationnelle d'un schéma multidimensionnel monomatériau a été développé et validé avec succès sur des cas tests standards dans les applications de la DIF. Le module de contrôle du maillage a été parfaitement implémenté dans ce schéma et testé avec succès.
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Figure 1: Validation du schéma par le cas test de la détonation de Sedov. En haut, simulation Lagrangienne. En bas simulation ALE. La densité est donnée par les courbes représentées en points rouge
Sur la figure 1, les résultats de simulation du cas test de la détonation de Sedov sont représentés. Ce cas test consiste à simuler la propagation d'une onde de détonation issue de l'injection rapide d'énergie dans la maille du coin inférieur gauche du domaine de calcul. Ce cas ne présente pas de déformation critique, mais le déplacement du maillage dans le cas Lagrangien conduit à une expansion démesurée de la maille de coin (grosse maille sur le maillage du haut), induisant une perte de précision de calcul dans cette maille. Pour le schéma ALE, le maillage reste régulier tout au long de la simulation. Les profils de densité (à droite) prouvent que la solution numérique ALE reproduit fidèlement la solution analytique, montrant un gain de précision dans la région de détente par rapport au schéma Lagrangien.
Actuellement, les études en cours s'appuient à étendre ce schéma pour des simulations multimatériaux.
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